Nicole Delépine interviewée par Pierre Lombard
Nicole Delépine : "Les patients sont devenus des cobayes pour BigPharma"
Le Dr Nicole Delépine est co-auteure de “Cancer, les bonnes questions à poser à votre médecin” (Michalon) un livre qui vise à redonner le pouvoir au patient sur son traitement et à instaurer une relation humaine avec le médecin. Nous l'avons rencontrée.
Pierre Lombard - Mardi 26 Juillet 2016
● Nicole Delépine est pédiatre, oncologue (cancérologue), ancien chef de service de cancérologie pédiatrique à l’assistance publique-hôpitaux de Paris, elle se bat depuis trente-cinq ans pour améliorer la prise en charge des malades atteints de cancer, en particulier des enfants.
● Gérard Delépine, chirurgien orthopédique, oncologue et statisticien, a consacré sa carrière à développer des techniques de chirurgie conservatrice.
LaNutrition.fr : Vous êtes retraitée depuis peu. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire un livre pour informer les patients et leurs proches sur les traitements des cancers ?
Nicole Delépine. Les appels téléphoniques ou par mail très fréquents de citoyens, d’anciens patients, ou d’amis de familles que nous avons connus nous démontrent chaque jour que les malades sont « perdus » et - trop souvent- ne reçoivent pas l’information détaillée, claire et compréhensible sur le traitement qui leur est proposé et les alternatives possibles en médecine classique académique. Pourtant la loi impose un consentement libre et éclairé aux soins que vous devez subir. Mais à tort ou à raison les patients ou leurs proches reçoivent la prescription comme une injonction, de surcroit à appliquer en urgence. Parfois ils attendent le résultat de la biopsie depuis trois semaines ou plus et la décision de la fameuse RCP - dont nous allons reparler - encore quelques jours parfois très longs. Et là l’injonction assortie de menaces plus ou moins voilées. Si vous refusez vous allez mourir dans trois semaines… Ils ne se sentent pas, ou plus, le droit de discuter, de refuser. La soumission s’impose à tous les niveaux en France et la médecine et singulièrement la cancérologie n’y échappe pas.
Est-ce une situation si répandue ?
Nous espérons que ce n’est pas le cas général mais en tous cas ces situations sont fréquentes particulièrement dans les grandes machines que les patients surnomment « usines à cancer » ou usines à essais quand ils n’évoquent pas des mots aussi forts que « camps de concentration » que même moi j’ai dû mal à entendre dans ce contexte. Mais ils insistent pour décrire la violence de leurs ressentis. Les petits établissements plus humains ont tendance à disparaître sous la main dominatrice et inquisitoriale des agences régionales de santé qui décrètent que le nombre de patients est insuffisant ou les locaux pas aux normes. Et la liberté d’être soigné dans un lieu à échelle humaine par des médecins pas encore robotisés se réduit comme peau de chagrin, ainsi que la liberté de soigner selon le serment d’Hippocrate.
Les cancérologues ne font -ils pas bien leur travail ?
Le problème est celui de la définition du « bien ». Notre définition et celle de tous les médecins depuis 2500 ans, c’est donner les meilleurs soins en fonction des « données acquises de la science » (et confirmé par l’arrêt Mercier 1936) dans le secret médical absolu, la volonté du patient éclairé et l’indépendance professionnelle. La définition de nos instances couvertes par l’Ordre est de respecter les « recommandations nationales » sur les conduites diagnostiques et thérapeutiques. En cancérologie l’Institut national du cancer précise en accord avec le ministère que le but à atteindre est d’inclure un maximum de patients dans les essais thérapeutiques ou dans ce qui les remplace peu à peu, les « thérapies précoces » qui permettent d’obtenir très rapidement en moins de deux ans les autorisations de mise sur le marché « conditionnelles » après de courtes études dite pivot portant sur de faibles nombres de patients. Les malades deviennent ainsi de fait des cobayes tandis que la sécurité sociale paie à des prix délirants des médicaments innovants peu expérimentés et donc à haut risque d’effets secondaires.
Comment les médecins réagissent-ils ?
Le médecin est pris dans des injonctions paradoxales permanentes :
- obéir à sa vocation, au serment d’Hippocrate et à sa volonté de soigner ses patients au mieux privilégiant selon le code de Nuremberg l’intérêt individuel sur l’intérêt collectif et il se fait vite exclure pour « incapacité de travailler en collectivité ».
- se taire, se laisser robotiser en silence et de fait, accepter cette médecine qui privilégie la soi-disant recherche comme nos dirigeants l’avouent - voir l’interview de Loïc Capron président de la commission médicale d’établissement de l’APHP en aout 2014 pour justifier la fermeture de la dernière unité indépendante de cancérologie pédiatrique - et ceci aux dépens des patients. Cette situation est évidemment invivable et on ne compte plus les suicides, les démissions, les burn-outs des médecins et en particulier des cancérologues. Mais peu importe, la loi de santé parue au JO en janvier 2016, prévoit de remplacer les « docteurs » de papa, cliniciens véritables médecins par des consultations numériques. Le mot « médecin » apparait moins de 40 fois dans un texte portant sur la médecine. Dans l’univers numérique du ministère, on n’examine plus les patients, on ne les interroge plus et l’ordinateur décide du traitement en fonction d’examens complémentaires variés, du rêve du tout génétique ; les « professionnels de santé » de moins en moins formés effectueront les gestes que les machines n’auront pas encore appris à faire. L’achat de robot pour remplacer les infirmières ou aides-soignantes dans les services aurait fait fureur au dernier salon sur la santé numérique. Courage, Fuyons.
Vous écrivez que le médecin est devenu une sorte de prestataire au service de l’industrie. Comment en est-on arrivé là ? Que faudrait-il faire pour remédier au problème ?
La loi santé nous transforme en prestataires au service du ministère, de l’état qui lui-même se met au service de l’industrie. Qui signe les prix exorbitants complètement injustifiés à tous égards des nouveaux médicaments ? La ministre de la santé, et pas le labo qui ne fait que jouer son jeu.
Ce fut un long chemin discret depuis la suppression des médecins des Hôpitaux en 1984 remplacés par des praticiens hospitaliers (PH) perdant leur identité de « docteur » d’autant que le titre est partagé avec les pharmaciens. Bref le PH n’est pas forcément médecin. Puis les lois successives ont soigneusement dépossédé les soignants de leurs prérogatives de décision, le directeur devenant celui qui accorde l’admission dans l’hôpital. Comment avons-nous accepté cela ? Création des Agences régionales d’hospitalisation par Juppé en 1996, loi Bachelot qui en 2009 élargit leurs prérogatives sur la ville en les transformant en Agences régionales de santé et loi Touraine qui achève le désastre en revendiquant dans l’article 1 la responsabilité de l’organisation des soins et non plus leur simple contrôle. Elle précise sur la santé et non plus seulement sur la santé « publique ». La médecine libre a disparu en 2016 et c’est bien la ministre qui décide ce qui est bien ou mal, comme « les vaccinations ne se discutent pas », ou la généralisation du traitement très onéreux de l’hépatite C sans savoir si cela est bénéfique pour tous les patients. Peu importe, elle décide et toute la loi est à la mesure de ce type de décision.
Quelles sont ces fameuses “RCP” (Réunion de Concertation Pluridisciplinaire) qui décident rapidement des traitements à attribuer à chaque patient ?
Ce sont des chambres d’enregistrement de fait. Le principe est de réunir au moins un cancérologue, un radiothérapeute et un chirurgien pour discuter des dossiers des malades et décider de la conduite thérapeutique. En pratique, les réunions réunissent de nombreuses personnes qui doivent choisir le traitement pour plusieurs patients en suivant les recommandations nationales le plus souvent possible. Ce choix se fait rapidement en l’absence du patient et de son médecin traitant et sur un dossier déshumanisé de fait : souvent seulement un ou deux médecins connaissent le malade en chair et en os. Il est évident que le vécu psychologique du malade, ses antécédents dans l’expérience de cette maladie n’ont aucune existence. Le choix éclairé du malade est supposé être explicité par le médecin référent qui trop souvent dira que c’est la décision de la réunion sans beaucoup de justification scientifique. Souvent le traitement choisi doit être accepté par le patient sous peine de menace de décès rapide en cas de refus ou d’inscription du patient sur une "liste rouge".
Le but réel est d’imposer les inclusions maximales dans les essais ou les thérapies précoces qui y ressemblent en plus rapides. Ceci est attesté par la vérification par l’agence régionale de santé au cours des audits pour accréditation. Si l’ARS trouve que l’établissement ne satisfait pas à ces critères, il doit se « corriger », se mettre en conformité, sous peine de perdre l’autorisation de traiter des cancers lors de la visite de contrôle un an plus tard. L’autorisation étant globale, il est évident que la pression des collègues est forte pour accepter la soumission.
D’après vous, non seulement la plupart des nouvelles molécules utilisées en chimiothérapie ne sont pas plus efficaces que les anciennes, mais elles seraient même moins efficaces que des traitements anciens personnalisés, en plus d’être considérablement plus chères, comment expliquer une situation si absurde ?
Nous exposons dans ce livre les résultats de la littérature internationale sur des exemples de molécules dites innovantes qui ont défrayé la chronique de ces dernières années comme un traitement supposé miracle qui allait supprimer la nécessité de la chimiothérapie classique et ses effets secondaires mal vécus. Nous présentons des analyses objectives qui ne relèvent pas de la croyance. Malheureusement ce travail bibliographique approfondi nous a permis de prouver dans de nombreux exemples de cancers fréquents que les résultats présentés au bout de quelques mois comme miraculeux par les leaders d’opinion au service de Big Pharma ne se confirmaient quasiment jamais en dehors de deux molécules déjà anciennes comme le Gleevec et l’herceptine pour un nombre réduit de patients au total.
Quelles sont les places de la chirurgie et de la radiothérapie ?
La place du traitement local et singulièrement de la chirurgie et de la radiothérapie est capitale. De nombreux cancers sont curables par le traitement local seul à condition que l’ablation de la tumeur puisse se faire en un seul morceau (en enlevant la totalité de la tumeur). De toute façon elle reste essentielle même lorsqu’elle doit être associée à la chimiothérapie et même en cas de maladie métastatique dans de nombreux types de cancer. Nous frémissons souvent devant des patients qui traînent chimio après chimio pendant dans de longs mois sans avoir bénéficié de chirurgie et/ ou de radiothérapie et souvent sans avoir rencontré le chirurgien ni le radiothérapeute. Les patients et les médecins doivent toujours avoir en tête la place fondamentale du traitement local pour ne pas perdre de chances de survie.
Que penser des approches complémentaires ?
Les autres approches médicales ou complémentaires peuvent être parfois d’un certain soutien pour le confort et la meilleure tolérance des traitements conventionnels mais à l’heure actuelle aucune n’a fait la preuve de son efficacité isolément dans la guérison des tumeurs solides. La faillite des conditions de la médecine académique fait oublier qu’en 2016 les malades guéris le sont par la chirurgie avec plus ou moins de radiothérapie et plus ou moins de chimiothérapie et qu’il faut demander à bénéficier de ces traitements et ne pas céder aux chants mirifiques tant du génome que d’associations de vieilles molécules qui guériraient tout le monde. D’autres voies de recherche sont passionnantes ; par exemple de nombreuses équipes internationales se penchent depuis plus de 20 ans sur les voies métaboliques de développement du cancer. L’immunothérapie présentée comme neuve est un marronnier depuis les années 60. Espérer, chercher, c’est bien mais il ne faut pas parler trop vite (même si c’est le meilleur moyen d’obtenir des crédits…). Les malades d’aujourd’hui veulent des traitements pour guérir maintenant et pas seulement servir de cobayes pour de possibles progrès (trop souvent très incertains ou peu probables).
L’objectif numéro 1 du plan cancer 2014-2019 est le dépistage plus précoce des cancers. Pensez-vous que le dépistage systématique permet de diminuer la mortalité par cancer ?
L’accent mis sur des dépistages de plus en plus précoces sanctifié par le ministère mériterait un long développement car rien ne prouve que cela soit bénéfique pour les citoyens. C’est un marché que souhaite développer l’industrie et ses alliés mais il est probablement plus toxique qu’utile. La médicalisation de la vie à tout prix pour satisfaire la Bourse est regrettable. Deux exemples ont été détaillés dans le livre : celui du sein et de la prostate. Là encore ce n’est pas croire ou ne pas croire dont il s’agit mais bien de synthèse de la bibliographie internationale avec un recul long de plus de 15 – 20 ans portant sur des dizaines ou des centaines de milliers de patients. Dans ces deux cancers, le dépistage augmente le nombre de cancers diagnostiqué et souvent le taux de guérison spécifique de ces cancers diagnostiqués mais cela ne prouve en rien l’utilité du dépistage car on inclut alors dans les statistiques des cancers dormants qui ne sont pas des maladies et qui n’auraient jamais causé de mal au sujet sa vie durant. Les sur-diagnostics représentent entre 20 et 40% des cas dépistés. Pour affirmer son utilité un dépistage doit améliorer la survie globale des sujets qui s’y soumettent c’est-à-dire qu’il doit augmenter l’espérance de vie chez les dépistés par rapport aux non dépistés et donc par conséquence diminuer le nombre global de morts par ce cancer. C’est le cas du dépistage du cancer du col de l’utérus par les frottis, le seul qui a fait la preuve certaine de son utilité et qui a fait passer la mortalité globale en métropole de 5000 à moins de 1000 cas annuels. Ce n’est pas le cas du dépistage du cancer de la prostate qui est déconseillé dans le monde entier par les organismes officiels chargés du dépistage. Ce n’est pas non plus le cas dans le cancer du sein ou la seule étude prospective randomisé à gros recrutement (90000 femmes) et long recul (20 ans) montre que le fait d’entrer dans un programme de dépistage organisé par mammographie n’augmente pas la longévité mais augmente sensiblement le risque de mutilation.
Pour quelle raison ?
La raison de l’échec de ces deux derniers dépistages réside dans les complications parfois mortelles des traitements inutiles (sur-traitement) administrés aux personnes souffrant de sur-diagnostic.
Le gros marché visé par le plan cancer est celui de la génomique espérant dépister les sujets à risque de tel ou tel cancer et autre maladie. Rêver et faire rêver les citoyens de l’éternité au prix de modifications géniques relève de la folie ou de la manipulation à visée marchande. On trouve dès maintenant dans le dossier de patientes atteintes de cancer du sein curable à 85 % des analyses du génome de leur tumeur dont l’intérêt clinique est nul mais qui ont été remboursées intégralement par la sécurité sociale comme s’il s’agissait de soins courants. La confusion financière mais aussi clinique entre la recherche et les soins a abouti à un abandon trop fréquent des bonnes pratiques du siècle dernier, époque à laquelle on guérissait plus de trois-quarts des enfants atteints de cancer et plus de la moitié des adultes cancéreux. La déshumanisation a suivi avec l’intégration de plus en plus systématique des patients dans les essais ou les thérapies précoces (médicaments peu expérimentés avant la première autorisation de mise sur le marché). Aucune statistique sérieuse ne permet de savoir le résultat de ce changement radical de type de traitement mais on ne peut que s’étonner de la fréquence croissante de cancers dits « foudroyants » à la place de la longue maladie d’autrefois…
Quels conseils donneriez-vous à un patient qui vient de s’être vu diagnostiqué un cancer ?
Nous sommes encore en relative démocratie et le pouvoir agit essentiellement par désinformation (à travers les multiples émissions quotidiennes sur les médias officiels ) insinuant la peur, et par manipulation des soignants submergés sous le poids de la bureaucratie et des autorisations d’exercer. Le patient doit tenter de sortir de cet enfermement en exigeant l’information éclairée encore prévue par la loi, et en choisissant en conscience le traitement le moins toxique pour lui. Il doit rencontrer directement les protagonistes de son traitement, ne pas accepter d’être déclaré inopérable sans avoir rencontré le chirurgien ou parce qu’il est métastatique. Enlever la tumeur primitive est parfois capital après une courte chimiothérapie si cela est possible. Le traitement ne doit pas être laissé au seul bon vouloir d’une réunion dans laquelle il n’est qu’un objet désincarné, un dossier. L’humain doit réinvestir le traitement et cela sera bénéfique pour le malade et pour le médecin qui ne demande que cela. C’est souvent un chemin difficile mais tous ensemble, soignés et soignants, n’avons pas d’autre solution pour reconquérir l’espace du soin qui ne concerne ou ne devrait concerner que nous.
Le Professeur Henri Joyeux s’est vu radié de l’ordre des médecins pour ses propos qualifiés d’alarmistes sur les vaccins, que pensez-vous de cette affaire ? Pensez-vous qu’un ordre moral s’exerce sur les médecins qui pensent “en dehors des clous” ?
Je suis comme la très grande majorité des collègues, tout à fait scandalisée de cette officialisation du délit d’opinion dans un pays qui se veut démocratique surtout en ce mois de juillet ou l’on rappelle la Déclaration des droits de l’homme qui stipule dans son paragraphe 8 que « Nul ne peut être poursuivi pour l’expression de son opinion ». Jusqu’ici les seules exceptions légales à cette liberté étaient la négation des génocides juif et arménien. L’ordre estime-t-il que le professeur Joyeux menace de génocide le peuple français ? Il est vrai que la France a officiellement suspendu son respect de la Convention des droits de l’homme en novembre 2015… Le Pr Joyeux a pourtant été modéré en demandant que les labos et l’Etat garantissent l’approvisionnement en DTPolio, seul vaccin obligatoire en France et demandé avec plus d’un million de signataires que ne soient pas imposées des valences supplémentaires dont certaines ont des effets secondaires non négligeables. Faut-il rappeler à nos autorités ministérielles et à l’Ordre que la France est signataire du code de Nuremberg et de la Convention d’Helsinki et que l’Association médicale mondiale qui se réunit régulièrement pour réitérer ces principes a encore rappelé récemment que l’intérêt collectif ne doit jamais primer sur l’intérêt individuel. Faut-il supposer que l’intérêt collectif est de maintenir une obligation vaccinale en France, ce qui est très douteux, car nos principaux partenaires européens (à commencer par l’Allemagne et l’Angleterre) qui ont supprimé toute obligation vaccinale depuis longtemps ne présentent pas plus de maladies infectieuses que nous ?
Mais l'Ordre fondé sous Vichy pour interdire aux médecins juifs d’exercer et forcer les médecins à déclarer les blessés par balles pour repérer les résistants ne reviendrait-il pas ici aux sources pour jouer la police médicale au service du pouvoir ?
Propos recueillis par Pierre Lombard