GIEC et géo-ingénierie : une pilule amère et empoisonnée
http://www.etcgroup.org/content/ipcc-and-geoengineering-bitter-pill-also-poison-pill
Le 16 Avril 2014 - ETC Group – Traduction française : Ciel voilé
(Avertissement du traducteur : ETC group a participé à Nagoya aux négociations pour obtenir un moratoire sur la géo-ingénierie, mais officiellement, ne reconnaît pas la réalité des programmes en cours.)
La session de négociation de la semaine dernière a entraîné les experts du climat de l'ONU à donner un réticent clin d'œil de soutien à une technique largement théorique et controversée de géo-ingénierie : la bioénergie, capture et stockage du carbone ou BECCS(*). La géo-ingénierie se réfère à des solutions technologiques extrêmes qui visent à modifier le climat à grande échelle. Dans son rapport approuvé le samedi 12 avril, le groupe de travail du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) III (GTIII) a largement - et à bon escient - contourné la géo-ingénierie, mais a suggéré que cette technologie serait une pilule amère que le réchauffement de la planète pourrait nous faire avaler. Les BECCS et d’autres technologies de séquestration du dioxyde de carbone seraient particulièrement nécessaires, selon le GIEC, dans les scénarios de « dépassement », où l'atténuation des émissions de gaz à effet de serre serait retardée ou inadéquate, ce qui nécessiterait à long terme des réductions d’émissions plus rapides, plus profondes, pour limiter l’augmentation de la température. Le GIEC note qu’un « dépassement », généralement, rendrait moins probable le respect d’un objectif de température donnée.
En réponse, les groupes de la société civile ont mis en garde : l'amertume de la pilule des BECCS dérive de sa toxicité :
« S'appuyer sur la promesse des BECCS qui permettrait un dépassement des émissions n'est pas seulement une pilule amère; c'est un placebo qui peut être une pilule empoisonnée », a déclaré Jim Thomas d'ETC, qui était à Berlin pour les négociations. « Nous ne savons pas si les BECCS seront jamais capables de réussir à capturer le carbone de l'atmosphère, mais nous savons qu’elles dépouilleront les agriculteurs de leurs terres, détruiront les arbres hors des forêts, et porteront atteinte aux efforts de réduction des émissions de carbone. L'importance des BECCS dans le dernier rapport du GIEC est une erreur. »
Tous les composants des BECCS (c'est-à-dire, la bioénergie, la capture du carbone, le stockage) sont dangereux, incertains et risqués :
• Tout déploiement de BECCS qui aurait des effets notables sur le climat, impliquerait d’énormes transformations dans l’utilisation des terres pour les convertir à la culture de biomasse. Le GTIII, dans le résumé du GIEC pour les décideurs, fait remarquer : « Les obstacles à un déploiement à grande échelle de la bioénergie comprennent les risques et les préoccupations au sujet des émissions de gaz à effet de serre en provenance du sol, la sécurité alimentaire, la conservation de la biodiversité et des moyens de subsistance. »
• Il n'y a pas actuellement de coût rentable et de moyen sécurisé pour stocker le dioxyde de carbone (CSC) sous terre. À l'heure actuelle, le CO2 capturé est vendu aux compagnies pétrolières pour augmenter la récupération de pétrole, ce qui accroît la quantité de combustibles fossiles disponibles pour la consommation. Sans surprise, l'industrie des combustibles fossiles a investi dans le développement de la capture du carbone pour rassurer ses investisseurs sur le fait que des milliers de milliards de dollars d'actifs ne perdront pas de valeur. Dans son rapport, le GIEC a noté : « La disponibilité du CSC permettrait de réduire les effets négatifs des mesures d'atténuation sur la valeur des actifs de combustibles fossiles. »
Le groupe de travail GT III a reconnu qu’en ce qui concerne les techniques de BECCS : « La disponibilité et l'ampleur de ces ... technologies et méthodes sont incertaines et ... , à des degrés divers , associées à des défis et des risques. » En outre, la Bolivie a publié des réserves sur son acceptation du texte final du GIEC : « Les technologies proposées par le GIEC pour promouvoir des actions d'atténuation sont principalement encadrées par l'utilisation de la géo-ingénierie sur la base de la séquestration du dioxyde de carbone, des technologies, en particulier avec l'utilisation de la bioénergie (BE ) et de la capture et du stockage du carbone ( CCS ) et leur combinaison comme BECCS, et également des technologies de gestion du rayonnement solaire ( GRS) sont mises en évidence . Ces technologies violent les droits de la Terre Mère, et en particulier son droit d'adaptation naturelle au changement climatique, et auraient un impact important sur les moyens de subsistance et les droits fondamentaux des peuples autochtones locaux. »
Les partisans de la géo-ingénierie sont probablement déçus par le rapport approuvé à Berlin samedi dernier. Malgré un effort de deux ans pour obtenir un soutien du GIEC en faveur de la géo-ingénierie et un groupe de travail spécial sur ce sujet à travers l'inclusion des BECCS, avec pour résultat seulement un appui conditionnel à la contribution de GTIII le cinquième rapport d'évaluation du GIEC (AR5), ce n'est pas une victoire. L'année dernière, le Guardian au Royaume-Uni a révélé que la Russie avait fait pression avec succès sur le GTI du GIEC pour mentionner la gestion du rayonnement solaire (GRS), technique qui tente de bloquer ou de réfléchir la lumière solaire (1). Selon Associated Press, la Russie a appliqué une pression similaire sur le GTIII (2), mais en vain.
Bien que le rapport de samedi ait été le dernier à venir des trois groupes de travail du GIEC, la lutte sur la géo-ingénierie au GIEC n'est pas terminée. Le GIEC a rédigé un document de synthèse à partir des rapports des trois groupes de travail, que les gouvernements et les experts commenceront à examiner la semaine prochaine. L'objectif est de le faire approuver et d’en distribuer une copie fin octobre 2014. Le rapport pour les décideurs sera la principale ressource pour les négociateurs de la CCNUCC quand ils se rencontreront du 1er au 14 décembre 2014 à Lima, au Pérou, pour le COP20. Ce rapport est en cours d'élaboration actuellement et, malgré le manque d'enthousiasme pour la géo-ingénierie dans les trois groupes de travail, le rapport comprend : « Géo-ingénierie - rôle possible, options, risques et statut. »
Cependant, comme le note Jim Thomas d’ETC group : « La piètre performance de la géo-ingénierie dans les groupes de travail deux et trois laisse espérer que son « effet placebo » s'estompera. »
(*) : BECCS : Bioénergie avec capture et stockage du carbone. Pour faciliter la lecture, ces abréviations anglaises seront conservées en français. (Ndt)
Notes :
( 1 ) Martin Lukacs , Suzanne Goldenberg et Adam Vaughan , « La Russie invite instamment Rapport ONU sur le climat à inclure la géo-ingénierie », The Guardian , le 19 Septembre 2013.
( 2 ) Karl Ritter , «Le changement climatique Plan B suscite la polémique, le doute » Associated Press , le 11 Avril 2014.
Notes aux rédacteurs:
Résumé du GT III destiné aux décideurs est disponible ici :
http://mitigation2014.org/report/summary-for-policy-makers
ETC Group a produit un court briefing sur le GIEC et la géo-ingénierie , disponible ici : http://www.etcgroup.org/content/ipcc-ar5-geoengineering-march2014 .
Pour plus d'informations :
Neth Daño ( Philippines ) - Neth@etcgroup.org 63 9175329369Jim Thomas ( Canada ) - jim@etcgroup.org 1 514 2739991Silvia Ribeiro ( Mexique ) - silvia@etcgroup.org +52 55 55632664
Publication en français d'ETC group :
Géopiraterie: argumentaire contre la géoingénierie 7 février 2011
http://www.etcgroup.org/fr/content/g%C3%A9opiraterie-argumentaire-contre-la-g%C3%A9oing%C3%A9nierie
Ce rapport donne à voir le nouveau « plan B » en matière climatique pour ce qu’il est réellement : une stratégie politique permettant aux pays industrialisés de se défiler et d’éviter de rembourser leur dette climatique. Qu’il s’agisse d’ajuster le thermostat terrestre ou de modifier l’équilibre chimique de nos océans, ces solutions technologiques représentent une menace pour les populations et pour la planète. Le rapport propose un survol des antécédents historiques de ces interventions, ainsi que des fondements scientifiques et des intérêts qui sous-tendent le développement rapide de ces nouvelles technologies et des enjeux qu’elles soulèvent en matière de gouvernance internationale.