Le Pentagone : l'éléphant du climat
Sara Flounders - Le 4 septembre 2014 - Traduction Ciel voilé -
http://www.workers.org/articles/2014/09/04/pentagon-climate-elephant/
Il y a un éléphant dans le débat sur le climat qui à la demande des États-Unis ne peut être contesté ou même évoqué. Cet accord consistant à ignorer l'éléphant constitue à présent la base tacite de toutes les négociations internationales sur le changement climatique.
Toutes les données le prouvent, le Pentagone, la machine militaire américaine, est le plus gros consommateur institutionnel mondial de produits pétroliers et le pire pollueur de la planète en émissions de gaz à effet de serre et autres polluants toxiques. Pourtant, le Pentagone bénéficie d’une exemption générale dans tous les accords internationaux sur le climat.
Depuis les Accords de Kyoto ou les négociations du Protocole de Kyoto en 1998, dans le but d’obtenir l’accord des États-Unis, toutes les opérations militaires des États-Unis à travers le monde et au sein de l'US ne sont pas prises en compte dans les mesures et les accords sur la réduction. Le Congrès américain a adopté une disposition explicite des États-Unis garantissant ces exemptions militaires. (Interpress Service, le 20 mai 1998)
L'exemption complète de l'armée américaine pour le calcul des émissions de gaz à effet de serre comprend plus de 1000 bases américaines dans plus de 130 pays à travers le monde, ses 6000 installations aux États-Unis, ses porte-avions et son avion à réaction. Sont également exclus les essais d'armes et toutes les opérations multilatérales telles que l'alliance militaire du géant américain, l'OTAN et d’Africom, l'alliance militaire des États-Unis couvre maintenant l'Afrique. La disposition exonère également les activités américaines sous l’égide de l'ONU pour le « maintien de la paix» et « l’aide humanitaire».
Même après l’obtention de cette concession gigantesque, le gouvernement américain refuse toujours de signer l'accord de Kyoto, sabotant ainsi des années d'efforts internationaux visant à forger un accord.
Les dispositions du Protocole de Kyoto ont néanmoins servi de base à toutes les futures réunions internationales proposées pour un traité sur le climat, y compris à Copenhague en 2009, à Cancun en 2010, à Durban en 2011, à Doha en 2012 et lors de la prochaine Conférence des Nations Unies des Parties sur les changements climatiques, la XXIème qui se tiendra à Paris en 2015.
Lors de toutes les dernières conférences internationales, à maintes et maintes reprises, le gouvernement américain a saboté les réunions et refusé d'être lié par un traité. L'administration Obama, le 27 août dernier, a de nouveau confirmé que lors de la réunion de l'ONU à New York en septembre, préparatoire de celle de Paris en 2015, seul un accord non contraignant pourrait être mis en avant.
Rôle des militants de base
À moins que les militants de base du climat ne contestent cette exemption de l'armée américaine et ne fassent connaître la source la plus dangereuse du réchauffement planétaire et du changement climatique, le mouvement se perdra dans de vagues généralités, des espoirs utopiques et des accords insuffisants.
Le seul espoir que la manifestation de masse en septembre à New York ait un impact, serait que des voix indépendantes contestent consciemment le plus grand pollueur mondial. Exposer les coûts sociaux horribles du militarisme américain doit également faire partie du défi. Le rôle militaire de Washington renforce en permanence à tous les niveaux de l'appareil d'Etat, la répression.
Pendant des décennies, et à un rythme accéléré depuis 2001, l'armée a fourni librement un flot ininterrompu de matériel de guerre aux villes, aux polices locales, aux unités de la Garde Nationale et aux bureaux des shérifs. La jeunesse des nations opprimées des Etats-Unis devient la cible d'un état policier considérablement élargi. Les nouvelles images de chars et de blindés de la police à Ferguson, au Missouri, ont confirmé à des millions de spectateurs, les résultats de cette politique raciste.
Exposer les ravages des guerres américaines en Irak, en Afghanistan et en Libye est essentielle. Ces guerres américaines ont répandu des centaines de tonnes de déchets radioactifs de missiles à l'uranium appauvri. Elles ont contaminé le sol et l'eau de vastes régions sous occupation américaine au benzène et au trichloro-éthylène par des opérations militaires aériennes et par le perchlorate, une substance toxique utilisée pour la propulsion des fusées. Plus de 1000 sites militaires aux Etats-Unis sont contaminés par ces toxines. Les bases militaires sont à la tête des sites états-uniens les plus contaminés. Les communautés les plus pauvres, en particulier les communautés de couleur, sont les plus durement touchées par cet empoisonnement militaire continu.
Il est essentiel de faire le lien entre l'exemption du Pentagone dans les négociations internationales et son rôle principal comme protecteur et responsable de l’expansion du pouvoir des multinationales américaines dans le monde entier. Les sociétés les plus puissantes et les plus rentables sont les sociétés pétrolières et militaires. Ce sont les autres principaux pollueurs.
Le Pentagone admet le changement climatique
Contrairement aux fanatiques de droite qui nient les changements climatiques au Congrès, le Pentagone ne nie pas l'impact dévastateur que le changement climatique aura sur tous les aspects de la vie sur la planète.
Ses propres études publiées confirment le danger. Mais le corps des officiers des États-Unis s'est engagé à ce qu'ils appellent « la domination totale ». Ainsi, chaque étude du changement climatique par les planificateurs militaires est basée sur l'évaluation de la façon de tirer profit de la crise à l'avenir et d’implanter plus fermement le pouvoir des entreprises américaines et de protéger l'irrationnel système capitaliste qui a créé cette crise et qui menace l'humanité tout entière.
Les études du Pentagone ne prévoient pas d’apporter une aide d'urgence en cas de catastrophes climatiques telles qu’inondations, sécheresses, famines, épidémies, typhons, tornades, ouragans, tempêtes de verglas, pénuries d'eau et dommages aux infrastructures. Les plans de leurs collèges de guerre et des think tanks portent sur la façon d'obtenir des concessions politiques sur les droits d'accueil et le futur accès militaire à l'heure du plus grand besoin d'urgence d'un pays assiégé.
Par exemple, le département américain de la Défense publie tous les quatre ans un rapport quadriennal de la Défense. C'est, dans les grandes lignes, la stratégie militaire américaine. (tinyurl.com/pn4awm8)
Le rapport 2014 décrit la menace du changement climatique comme « un problème de sécurité nationale très grave. » Semblable au rapport 2010, il s’interroge sur la façon de maintenir l'hégémonie militaire globale des États-Unis face à l'aggravation continue des perturbations climatiques mondiales.
La caste des officiers militaires se concentre sur le maintien de la loi de Wall Street et la propriété capitaliste au cours d'une crise. Elle se soucie de préserver l'autorité de ses marionnettes, de ses alliés et de ses collaborateurs. Le rapport souligne qu’il est important de développer de nouvelles politiques, stratégies et plans.
« Le changement climatique pose un autre défi important aux Etats-Unis et au monde en général. Car les émissions de gaz à effet de serre, le niveau des mers, et les températures mondiales moyennes augmentent, les événements météorologiques extrêmes s'accélèrent.»
« Les impacts du changement climatique peuvent augmenter la fréquence, l'ampleur et la complexité des missions futures, y compris le soutien de la Défense aux autorités civiles. ... L’entraînement opérationnel du Ministère repose sur l'accès sans entrave à la terre, à l'air et à la mer. »
Les plans prévisionnels des militaires et des multinationales américaines sont sans pitié sur la façon de tirer parti des changements climatiques dangereux pour le vivant. Un exemple des plus effrayants : « Stratégie Nationale pour la région de l'Arctique. » Ce rapport de la Maison Blanche ouvre sur un éloge de l'Arctique comme « endroit incroyable. » Mais très rapidement, il décrit la nécessité de se concentrer sur les priorités stratégiques pour relever les défis et les opportunités à venir.
Selon ce rapport la fonte de la calotte glaciaire arctique et le « nouvel environnement de l'Arctique » signifient que « Les ressources de l'océan sont plus facilement accessibles quand la banquise diminue. » C’est l’occasion d'accéder aux grandes réserves inexploitées de pétrole, de gaz et de ressources minérales et d’accroître la consommation d’énergies fossiles. En d'autres termes, de gros profits pour les compagnies pétrolières. (tinyurl.com/cw2dvhk)
Le Centre d’Analyses Naval a également préparé des rapports inquiétants sur la politique américaine en cette période de crise climatique mondiale. Onze généraux et amiraux à la retraite se sont réunis en 2007 pour examiner les implications sécuritaires du changement climatique.
En 2014, ce centre de recherche et développement financé par le gouvernement fédéral a réalisé une étude dirigée par Michael Chertoff, ancien secrétaire à la Sécurité intérieure, et Leon Panetta, ancien secrétaire de la Défense, intitulée : « La sécurité nationale et les risques d’accélération du changement climatique ». Ce rapport voit le changement climatique comme la source de l'instabilité internationale et la plus grande menace à l'ordre capitaliste établi.
Cette étude, encore une fois, ne porte pas sur la façon d'utiliser l'énorme capacité technologique de la machine militaire américaine pour fournir des solutions ou une aide d'urgence. Tout est posé en termes de sécurité nationale face à de supposées menaces terroristes potentielles.
« En Afrique, en Asie et au Moyen-Orient, nous voyons déjà comment les impacts des phénomènes météorologiques extrêmes, comme les sécheresses prolongées et les inondations - et les pénuries alimentaires qui en résultent, désertification, éparpillement de la population, migrations de masse, et l'élévation du niveau de la mer - posent des problèmes de sécurité aux gouvernements de ces régions. Nous voyons ces tendances croître et s’accélérer ».
« Le changement climatique agit comme un multiplicateur de menace d'instabilité dans certaines des régions les plus instables du monde. Il ... constitue une grave menace pour la sécurité nationale de l'Amérique. » Le rapport appelle à « l'amélioration de la puissance de combat des États-Unis » et à « l’évaluation de l'impact sur les installations militaires américaines à travers le monde de l'élévation du niveau de la mer et des événements météorologiques extrêmes. » (Tinyurl.com/lreswx8)
Au vu de ces rapports et du rôle égocentrique et destructeur des États-Unis lors de toutes les conférences climatiques depuis plus de 20 ans, il est clair que le pouvoir des entreprises américaines et la machine militaire monstrueuse qu'il a financée, en expropriant plus de la moitié du budget fédéral chaque année depuis des décennies est l’ennemi des peuples du monde entier et une menace pour toutes les formes de vie sur terre. Cela doit devenir l’argument choc pour la conscience de classe des militants du climat. Cela contribuerait grandement à la compréhension de l’origine de cette crise mondiale et à la création de vraies solutions.