Bas les pattes ! Ne touchez pas à notre Terre-Mère
Nous, organisations de la société civile, mouvements populaires, peuples autochtones, organisations paysannes, chercheurs et chercheuses, intellectuel-le-s, écrivain-e-s, travailleurs, travailleuses, artistes et autres citoyen-ne-s concerné-e-s du monde entier, nous nous opposons à la géo-ingénierie en ce qu’elle est une proposition dangereuse, absolument inutile et injuste pour lutter contre le changement climatique. Le terme géo-ingénierie fait référence aux interventions technologiques destinées à atténuer certains symptômes du changement climatique en agissant à grande échelle sur les océans, les sols et l’atmosphère de la planère Terre.
Elle perpétue les fausses croyances selon lesquelles le modèle industriel actuel de production et de consommation, injuste et dévastateur tant écologiquement que socialement, ne peut être transformé et que nous avons par conséquent besoin de solutions technologiques pour maîtriser ses effets. En réalité, les changements et transformations dont nous avons vraiment besoin pour affronter la crise climatique sont surtout d’ordre économique, politique et social.
Notre Terre-Mère est notre maison commune et son intégrité ne doit en aucun cas être violée par les expérimentations de la géo-ingénierie ou par la mise en œuvre de cette dernière.
Nous nous engageons à protéger la Terre Mère et à défendre nos droits, nos territoires et nos peuples contre toute tentative de mainmise sur le thermostat de la planète ou sur les cycles naturels vitaux des fonctions et écosystèmes de la planète.
Les écosystèmes sains, la diversité culturelle et biologique sont essentiels au bien-être de tous les peuples, de toutes les sociétés et de toutes les économies. La géo-ingénierie — qu’elle vise la terre, les océans ou encore l’atmosphère — menace, de par ses effets secondaires et impacts dévastateurs, les écosystèmes, la biodiversité et les communautés humaines.
Nous rejetons toute nouvelle stratégie des économies basées sur les carburants fossiles et rejetons également la géo-ingénierie en tant que tentative visant d’une part à maintenir un statu-quo que l’on sait irrecevable et d’autre part à détourner l’attention des réductions d’émissions de gaz à effet de serre et des vraies solutions à la crise climatique.
Les effets des projets de géo-ingénierie d’élimination du dioxyde de carbone (y compris les monocultures d’arbres et les plantations de biomasse à grande échelle) sont extrêmement nocifs pour la terre, l’eau, la biodiversité, la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance traditionnels. La capture et stockage du CO2 (CCS) vise à servir l’industrie des combustibles fossiles et à la perpétuer. De plus, la bioénergie avec captage et stockage du carbone (BECCS) amplifierait énormément les plantations, disputant les terres nécessaires à la production alimentaire, menaçant la sécurité alimentaire et la biodiversité. D’autres techniques d’élimination du dioxyde de carbone, telles que la fertilisation des océans perturberaient la chaîne alimentaire marine et créeraient dans les océans des zones « mortes », privées d’oxygène.
Les technologies de la géo-ingénierie risquent de bouleverser les équilibres météorologiques locaux et régionaux et de perturber encore plus le climat. Leurs effets pourraient être catastrophiques pour certaines régions, en particulier en ce qui concerne la disponibilité des ressources en eau et la production alimentaire. Des conflits régionaux et internationaux liés aux effets secondaires et aux impacts indésirables de ces technologies auront très probablement lieu.
La géo-ingénierie menace la paix et la sécurité mondiales. Certaines technologies visant à manipuler le climat et les conditions météorologiques ont des origines militaires et pourraient très probablement être utilisées comme des armes. Le déploiement des technologies de Gestion du Rayonnement Solaire en particulier pourrait dépendre d’infrastructures militaires et entraîner de nouveaux déséquilibres géopolitiques (en termes de gagnants et de perdants) dans la course à la mainmise sur le thermostat de la Terre.
Nous nous unissons donc pour nous opposer aux expérimentations sur le terrain et au déploiement de ces technologies et appelons les organisations et les citoyenne-s concerné-e-s à se joindre à cette campagne.Etant donné la gravité des risques que la géo-ingénierie fait peser sur la biodiversité, l’environnement et les modes de vie et moyens de subsistance, en particulier dans le cas des communautés autochtones et paysannes, nous exigeons :
• L’interdiction des expérimentations et du déploiement de la géo-ingénierie
• La création d’un système de gouvernance multilatéral des Nations Unies qui soit international, transparent, participatif et qui se charge de faire respecter ces interdictions. Le moratoire sur la géo-ingénierie de la Convention sur la Diversité Biologique et l’interdiction par le Protocole de Londres de la fertilisation des océans en sont des points de départ.
• La cessation immédiate de toutes les expériences prévues en plein air, y compris :
Le projet SCoPEx, une expérience visant à injecter des aérosols dans la stratosphère dans le cadre du programme de géo-ingénierie solaire de Harvard, prévu en 2018 en Arizona, tout près de la frontière mexicaine.
L’expérience d’éclaircissement de nuages marins (The Marine Cloud Brightening Project) prévue dans la baie de Monterrey, en Californie
Le projet Ice911, qui vise à épandre des microbilles de verre sur la glace et la mer en Alaska
Les projets Oceaneos de fertilisation des océans au Chili et au Pérou
• La suspension de tous les projets de grande envergure et des financements de projets qui visent à capturer le CO2 avec des moyens technologiques et à le « séquestrer » dans des formations géologiques et/ou dans les océans, et/ou à l’utiliser pour la récupération assistée du pétrole et/ou d’autres applications industrielles telles que la capture et stockage du CO2 (CCS), les technologies de bioénergie avec capture et stockage du CO2 (BECCS, Bio-energy with carbon capture and storage) et de capture directe de CO2 dans l’air (DAC, Direct air capture). Nous nous opposons à toute forme de CSC, y compris au traitement du gaz, aux centrales au charbon, à la bioénergie ou aux procédés industriels, fracturation hydraulique y compris. Les projets de CCS et de capture, utilisation et stockage du CO2 (CCUS en anglais) tels que PetraNova au Texas, Boundary Dam en Saskatchewan, Decatur en Illinois, Drax au Royaume-Uni ne font que perpétuer une industrie polluante.
• La suspension de toutes les monocultures à grande échelle
• Le refus de tout financement public pour ce type de projet
• La reconnaissance des modes de vie et et de la vision cosmique des peuples autochtones, y compris le droit de libre détermination à défendre leurs communautés, les écosystèmes et la vie dans son ensemble contre les techniques et pratiques de la géo-ingénierie qui violent les lois naturelles, les principes créatifs et l’intégrité territoriale de la Terre Mère et du Père Ciel.
• La mise en place et le respect du droit du droit des peuples autochtones et des communautés locales à un consentement libre, préalable et en connaissance de cause pour toute expérience ou projet de géo-ingénierie.
• Le respect des droits des paysans, des terres et des territoires, qui passe par le fait de reconnaître que leurs moyens de subsistance — y compris ceux des peuples autochtones, des communautés habitant les forêts, des bergers et pêcheurs artisanaux — constituent une source vitale d’alimentation pour la majorité de la population mondiale, qu’ils ouvrent la voie à la souveraineté alimentaire et contribuent à atténuer les émissions de gaz à effet de serre et à récupérer les sols et les écosystèmes. Leurs terres sont particulièrement susceptibles d’être accaparées et exploitées pour le déploiement de la géo-ingénierie, et leur agriculture menacée par ses effets secondaires.
• Le soutien et le renforcement de recherches significatives pour définir des moyens justes, durables et transformateurs de limiter le réchauffement planétaire à 1,5° C, en envisageant sérieusement des modèles et des scénarios différents à ceux utilisés actuellement dans les négociations sur le climat et en incluant aux débats et à la prise de décisions d’autres types de savoirs et d’expériences — y compris les savoirs des peuples autochtones et les propositions des mouvements paysans.
• Les communautés, les activistes et les chercheurs du monde entier construisent et développent actuellement les éléments constitutifs de chemins transformateurs et fondés sur la justice qui nous mèneraient vers un monde où le réchauffement global ne dépasserait pas les 1,5° C. Les solutions seront multiples, diverses et soucieuses des contextes locaux et régionaux. Elles incluent l’élimination des infrastructures de combustibles fossiles — non seulement du charbon, mais aussi du pétrole et du gaz — ; l’expansion d’une démocratie énergétique alimentée par les énergies renouvelables éolienne et solaire ; la réduction de la consommation globale d’énergie et de matériaux ; une transition juste pour les travailleurs et vers une économie féministe et régénératrice ; le soutien à l’agroécologie paysanne et à la souveraineté alimentaire pour la justice climatique au sein du système alimentaire; la restauration ample mais soignée des écosystèmes vitaux de la planète, et des forêts avant tout.
Tout cela en intégrant et en respectant les droits des peuples autochtones et des communautés locales. La justice climatique ne sera possible que si nous nous basons sur des solutions respectueuses de l’environnement et justes socialement, plutôt que sur des rafistolages technologiques très risqués qui font le jeu des pollueurs, des industries extractives et du complexe militaro-sécuritaire.
Notre maison, nos terres et territoires ne sont pas un laboratoire de technologies de modification de l’environnement à échelle planétaire.
Nous disons donc à la géo-ingénierie : Bas les pattes ! ne touchez pas à notre Mère la Terre !
Si vous souhaitez signer ce manifeste, envoyez votre signature à :
manifesto@geoengineeringmonitor.org
Qu’est-ce que la géo-ingénierie ?
Le terme géo-ingénierie fait référence à toute une série de technologies qui ont été proposées pour manipuler et altérer délibérément les systèmes terrestres à grande échelle — c’est-à-dire à l'échelle planétaire. Ce type d’interventions peut globalement prendre deux directions : il existe tout d’abord une série de technologies visant à réduire la quantité de rayons solaires qui atteignent l’atmosphère terrestre dans le but de refroidir artificiellement le climat. Ces méthodes dites de gestion du rayonnement solaire consisteraient à épandre des aérosols dans la stratosphère pour imiter les effets d’une éruption volcanique ou encore éclaircir les nuages ou la surface des océans afin de les rendre plus réfléchissants. La deuxième catégorie d’interventions des systèmes terrestres concerne l’absorption et la séquestration du dioxyde de carbone ou encore l’élimination des gaz à effet de serre ; elles prétendent absorber à grande échelle le CO2 présent dans l’atmosphère et le stocker dans de vastes monocultures d’arbres ou encore l’enfouir sous terre, dans les océans. Globalement, les techniques de la géo-ingénierie peuvent comprendre des interventions terrestres, marines, ou encore atmosphériques, qui impliquent des risques et des effets néfastes pour les communautés humaines, les écosystèmes et les processus naturels, ainsi que pour la paix et la sécurité internationales.
Pourquoi la géo-ingénierie est-elle si dangereuse ?
Méga échelle : pour qu’une technique de la géo-ingénierie ait un impact sur le climat, elle devra être déployée à très grande échelle. Les effets inattendus sont susceptibles d’être très lourds et irréversibles, en particulier pour les pays du Sud.
Pas fiable : La géo-ingénierie intervient sur des systèmes complexes et encore mal compris tels que le climat et l’écologie marine. Ces interventions pourraient mal tourner à cause de défaillances mécaniques, d’erreurs humaines, d’interventions hostiles, de manque de connaissances, de phénomènes naturels (éruptions volcaniques par exemple), d’impacts transfrontaliers, de problèmes de financement ou de leur caractère irréversible.
L’excuse parfaite : La géo-ingénierie offre aux gouvernements des pays émettant le plus de CO2 et à l’industrie des carburants fossiles une option autre que celle qui consistait à réduire les émissions de gaz à effet de serre ; elle leur évite de reconnaître la dette climatique qui leur revient. Pour l’industrie des carburants fossiles, les techniques d’élimination du dioxyde de carbone semblent être une opportunité de préserver un statu quo et d’espérer des bénéfices supplémentaires de la vente de nouvelles sources de crédits carbone.
Source d’inégalités : Les gouvernements et les entreprises partenaires de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) — qui ont durant des décennies nié le changement climatique et n’ont pas assumé leurs responsabilités — sont ceux qui disposent des budgets et de la technologie nécessaires pour pirater et saccager la planète avec la géo-ingénierie. La géo-ingénierie est en soi très risquée et ses effets négatifs, en particulier dans le cas de la gestion du rayonnement solaire, seront inéquitablement répartis : ils affecteront gravement certaines régions d’Afrique et d’Asie en perturbant les moussons et en intensifiant les sécheresses, menaçant ainsi les ressources en eau et en nourriture de deux milliards de personnes. La géo-ingénierie aura également un impact négatif sur la biodiversité, les territoires autochtones, les terres et eaux des communautés paysannes et autres petits producteurs d’aliments, sans parler des femmes pour qui ces impacts seront bien plus colossaux.
Impossible à tester : Pour savoir si les propositions de la géo-ingénierie auront des effets sur le changement climatique, il faudrait qu’elle soit déployée à très grande échelle et sur un laps de temps très long (pour qu’on puisse la différencier d’autres phénomènes climatiques en cours) : il ne s’agirait alors plus d’une expérience mais tout bonnement d’un déploiement, avec toutes les conséquences prévues et inattendues que cela engendrerait. Ainsi, les expériences à petite échelle ne servent qu’à tester le matériel et les outils destinés à faire avancer la recherche et favoriser les investissements, pour justifier par la suite le « besoin » d’expérimentations plus conséquentes, voire le déploiement de la géo-ingénierie. Plusieurs expériences de gestion du rayonnement solaire en milieu ouvert sont prévues aux Etats-Unis, ce qui signifie que le problème, jusqu’alors cantonné aux ordinateurs et aux laboratoires, affecterait les territoires des peuples autochtones et la nature. Toutes contreviennent aux moratoires de la Convention sur la diversité biologique.
Unilatérale : Nombre de techniques proposées par la géo-ingénierie pourraient être relativement peu coûteuses à mettre en place, en comparaison des investissements de taille qu’il faudrait faire pour parvenir à la transformation réelle et juste dont nous avons besoin, et la capacité technique requise à cet effet ne serait accessible qu’à certains individus, entreprises et Etats au cours de la prochaine décennie. Il est donc urgent que soit mis en place un mécanisme des Nations Unies pour prévenir les tentatives unilatérales de modifications de la planète. violation des traités internationaux : La géo-ingénierie violerait les traités qui protègent, entre autres, nos océans, les droits de l’Homme et la biodiversité. De nombreuses techniques de géo-ingénierie sont dotées d’applications militaires et pourraient violer, par exemple, la Convention ENMOD des Nations Unies de 1978 sur les techniques de modification de l’environnement, la Convention sur la diversité biologique, la Convention de Londres et le Protocole de Londres sur l’immersion de déchets et autres matières dans les océans.
Commercialisation du climat : De nombreux chercheurs et partisans de la géo-ingénierie possèdent des intérêts commerciaux directs, y compris des brevets et/ou des actions dans des sociétés de géo-ingénierie. Dans les offices de brevets, la concurrence est rude entre ceux qui pensent détenir une solution planétaire à la crise climatique. La perspective d’un monopole privé détenant les « droits » de modifier le climat est tout simplement terrifiante.
Profit du carbone : Certains acteurs de la géo-ingénierie — notamment ceux qui promeuvent la fertilisation des océans, le biochar, la bioénergie avec capture et stockage du CO2 (BECCS, Bioenergy with carbon capture and storage), la capture directe de CO2 dans l’air (DAC, Direct Air capture) — ainsi que les industries de carburants fossiles — les plus grands responsables du changement climatique — veulent tirer parti des systèmes d’échange de quotas d’émissions en rendant ces technologies de la géo-ingénierie dont on n’est absolument pas sûrs, éligibles aux compensations carbone et en exigeant une tarification du carbone.
Guerres climatiques : La géo-ingénierie a des origines militaires, avec en particulier les programmes de contrôle météorologique mis au point par l’armée étasunienne et utilisés lors de la guerre du Vietnam et continue à fortement intéresser l’armée. Si la gestion du rayonnement solaire venait à être appliquée à une échelle aussi énorme que celle requise pour influer sur la température de la planète, cela créerait un nouvel équilibre de pouvoir géopolitique qui favoriserait les acteurs qui sont en mesure de contrôler le thermostat de la Terre et provoquerait une intensification de la géo-ingénierie et des mesures allant à son encontre.
Détour des solutions réelles : La géo-ingénierie est une dangereuse distraction : le simple fait que l’on puisse la proposer comme une option viable voire même la prendre en considération constitue déjà une façon de détourner l’attention et les ressources qui pourraient être employées pour le développement de réelles alternatives au changement climatique.