Nommer le mal - interview d’Ariane Bilheran
Le 1er septembre 2021 – Yves Rasir - Néosanté
On peut se demander si cette « guerre » contre le virus, annoncée par le président Macron, n’est pas devenue, à coups d’effondrement, une guerre psychologique vis-à-vis des peuples. Marion Bonny, ancienne femme médecin militaire formée aux maladies infectieuses et à la prise en charge de catastrophes sanitaires a même déposé une plainte à la Cour pénale internationale pour génocide économique, social, culturel[i]… Vous avez une spécialisation dans l’analyse de l’art de la manipulation et les pathologies du pouvoir. Pouvez-vous nous présenter votre parcours et la façon dont vos études vous permettent de décrypter cette actualité ?
Ariane Bilheran : J’ai depuis toujours été plongée dans des environnements d’abus de pouvoir, ce qui m’a menée dès l’adolescence à penser les dérives du pouvoir, d’abord au travers de la philosophie morale et politique (Hannah Arendt et Hegel en particulier, puis j’ai fait un master de philosophie morale et politique en Sorbonne sur la maladie de civilisation selon Nietzsche) et ensuite à partir de la psychologie (harcèlement, manipulation, perversion, paranoïa). Durant une dizaine d’années, j’ai audité dans des entreprises de différentes tailles, cultures, pays, secteurs de métier, des cas de plaintes pour harcèlement. Cela m’a permis d’observer les collectifs lorsqu’ils se déconnectent du réel et laissent la place à des discours paradoxaux et sadiques.
Je m’intéresse tout particulièrement à décrypter le mécanisme de « contagion délirante » entre individus et au sein des collectifs, mécanisme qui peut expliquer dans l’Histoire l’adhésion des peuples au totalitarisme et à différents crimes contre l’humanité. Par ailleurs, mes études à l’École Normale Supérieure de Paris, en Lettres Classiques, m’ont donné de l’assise pour analyser la sophistique dans les discours, c’est-à-dire la présence de « faux raisonnements », lorsqu’un raisonnement paraît vrai mais ne l’est pas. Cette corruption du raisonnement s’enracine dans une perte de sens du langage.
Un exemple aujourd’hui est de qualifier de « non essentiel » ce qui n’est en réalité pas « utile » du point de vue de la production capitaliste. L’utile désigne un outil au service d’une production technique et/ou économique. Cela n’a rien à voir avec l’essentiel, qui parle de notre essence d’être humain. L’art et la culture en ce sens sont absolument essentiels pour notre humanité. L’on voit bien que le choix des mots vient pervertir ou non le raisonnement qui les emploie, et entraîne un nouveau rapport au monde, plus maltraitant. Je m’intéresse aussi depuis longtemps aux néologismes, c’est-à-dire à ces « mots nouveaux » qui sont souvent un marqueur de folie individuelle et collective, comme l’avait déjà repéré Lacan ; « Complotisme » en fait partie.